La valeur littéraire des rognures
Bonsoir à tous,
Je feuilletais hier le dernier Magazine littéraire, dont la couverture m’avait interpellée : « Que valent les blogs littéraires ? » J’ai rampé vers la page indiquée en priant pour ne pas être citée, j’imaginais bien un truc du type : « Quant au blog d’Ariane Fornia, n’en parlons même pas, il atteint les abysses les plus opaques de la nullité, elle invoque les esprits des loutres et donne la recette des spaghetti, en plus, elle passe son temps à s’auto-glorifier et à préciser où et quand on peut apercevoir sa tronche sur-permanentée, comme si ça intéressait qui que ce soit ; Ariane Fornia révèle par l’indigence de ses posts hebdomadaires le désert aride de sa pensée. Décidemment, un tel étron de papier n’est pas soluble dans le génie germano-pratin. » J’avais, fort heureusement, surestimé ma notoriété sous le coup de la terreur : bien évidemment, le Magazine littéraire n’a jamais entendu parler de ce blog. Ouf. Parce que, personnellement, je ne suis pas du genre à envisager mon blog comme « un espace d’expérimentation ». Mes expérimentations honteuses, je les bidouille dans le plus grand secret de mon atelier, j’éponge les coulées baveuses et ne viendrais certainement pas placarder ici le produit de ces épanchements. Pour moi, c’est très simple : soit je juge mon texte mauvais, et il reste dans son tiroir. Je ne supporterais pas de voir quelqu’un critiquer ou, pire, citer et reproduire, ce que je considère comme un rebut. Soit je le trouve bon, et dans ce cas, il n’a pas à être bazardé hâtivement sur le web, il s’intègrera à une construction structurée et publiée. Un extrait peut éventuellement figurer sur le blog, mais bien à titre d’extrait, et certainement pas de fragment autonome. Je n’aime pas les disséminations hasardeuses.
Mais je ne veux pas non plus que ce blog devienne un simple prétexte à mon auto-promotion. Alors c’est un vrai casse-tête toutes les semaines : qu’est ce que je vais bien pouvoir vous raconter ? Quelque chose d’intéressant, assez correctement écrit pour ne pas me déshonorer, mais pas assez littéraire pour que vous puissiez croire que je le considère comme un échantillon d’œuvre… En général, j’en suis réduite à vous raconter ma vie, mais j’essaie d’éviter de changer Aiglures en nouveau Journal de Bridget Jones, genre, mon poids, combien de yaourts je me suis enfilé aujourd’hui, ma vie sexuelle et le recensement de mes disgrâces. Mais, tous les dimanches, c’est un vrai numéro de funambule. Alors, si vous pensez que quelque chose doit changer sur ce blog, dites le moi. Pensez-vous que je devrais, en parfaite contradiction avec les principes que j’ai énoncés plus haut, livrer mes esquisses, mes poèmes de jeunesse sur la première fois que je me suis fait larguer, ou celui sur la chauve-souris qui hante la troisième poutre du toit, et me livrer moi aussi à « l’écriture expérimentale » - écrire toute une page sans verbes, par exemple, intitulée « La peine de mort selon le point de vue d’un poil de sourcil » et se fixant pour défi de ne jamais utiliser de voyelles ? (Moi, sceptique quant à la littérature « expérimentale » ? Mais noooon… J’adore le nouveau roman, par exemple. C’est très utile au quotidien : pour tuer des mouches, laissez l’insecticide au placard, lisez-leur plutôt du Duras.) Ou, au contraire, voudriez-vous en savoir plus sur Moi Ma vie Mon chien Mon chéri Mon pantalon préféré Mon mascara fétiche ?
Je sens que vous allez faire comme d’habitude. Vous n’allez rien répondre du tout et me laisser continuer à improviser sur du rien du tout jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ah, je sais, je sais, ça fait six mois que ça dure, bande de sadiques.
Cela dit, parfois, certains me viennent en aide. Monsieur « SilverWizard », par exemple, m’a envoyé cette semaine un questionnaire qui occupera bien un article.
« Si tu devais choisir un livre pour…
un très long voyage en train ? Un John Irving. Une veuve de papier, par exemple. Ou Le monde selon Garp. Long et savoureux : de quoi survivre à un Valence – Würzburg en treize heures et huit changements.
une nuit blanche ? Un Stephen King. Simetierre, par exemple. Histoire de voir toute une horde de zombies me dévorer les orteils et finir la nuit lumière allumée. Ou les nouvelles fantastiques de Maupassant… Ou Dracula ! La scène du bateau conduit par un mort, ou de la transformation de Lucie, à trois heures du matin, il y a de quoi mourir !
ta dernière heure terrestre ? Les Hymnes à la nuit de Novalis. On ne peut mieux finir une vie. Ou les dernières pages des Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar. « Entrons dans la mort les yeux ouverts… »
un mois sur une île déserte ? Faustus, de Thomas Mann. Il y a presque de quoi s’occuper un mois.
lire à celui que tu aimes ? Les souffrances du jeune Werther.
lire avant une nuit d’amour ? Les liaisons dangereuses, évidemment. C’est le livre le plus sensuel de tous les temps !
le prêter à ta petite soeur ? Ta vie va changer, de Marie Aude Murail. J’avais adoré ce livre quand j’avais huit ou neuf ans.
le prêter à ta meilleure amie ? La série des Georgia Nicholson. C’est tellement bon.
le prêter à ta mère ? Les chutes, de Joyce Carol Oates. D’ailleurs, c’est elle qui me l’a fait découvrir.
te sentir bien ? Attentat, d’Amélie Nothomb. Une telle virtuosité alliée à tant de méchanceté me met en grande joie.
te sentir mal ? Arlington Park, de Rachel Cusk. Ce livre est génial mais oppressant… Ou La pitié dangereuse, de Stefan Zweig… on en apprend trop sur soi même.
savourer ? Tellement de livres sont savoureux… Une pièce d’Oscar Wilde, ou son Portrait de Dorian Gray. Encore mieux : Le fantôme de Canterville. Quel bonheur ! Une pièce de Marivaux, de Molière (être toujours aussi drôle 350 ans après, c’est un miracle !).
dormir ? Un « nouveau roman » ;).
rêver ? Des poèmes de Rilke, des ballades de Brentano, un conte de Tieck, le livre 6 de l’Enéide de Virgile, le récit de la descente aux enfers d’Orphée dans les Géorgiques, Hamlet…
réfléchir ? N’importe quel bon livre ! Disons Mars, de Fritz Zorn.
t’émerveiller ? Goethe, Shakespeare, Dante, Novalis, Heine, Tieck, Rilke, Verlaine, Baudelaire… »
Libre à vous de répondre à votre tour !
Bon, je lance l’ultime rappel ? Rendez-vous mardi à 18h au Salon du livre de Paris ? Promis, après, je ne vous embête plus.
Merci de me lire et à très vite.
Ariane