La vie d'Ariane, la sibylle et tours en rond
Chers tous,
Pardonnez-moi pour cette longue absence… J’ai trucidé quelques dissertations et autres devoirs démesurés, honoré des engagements que j’avais pris, bouclé quelques projets, me suis cassé deux orteils, suis allée voir Bienvenue chez les ch’tis avec ma mère née à Douai, ai supervisé la naissance de bébés golden retriever et le dressage d’un cheval – en période de vacances, je retrouve ma nature profonde : fermière -. J’espère que ça justifie ma désertion…
Je tiens une promesse faite il y a déjà longtemps : vous parler de La sibylle, de Pär Lagerkvist, écrivain suédois, prix Nobel de littérature en 1951. J’ai entamé la lecture de ce livre à minuit et demi, une veille de devoir sur table massif, en me disant « juste 10 minutes, ça va me désinfecter un peu les neurones ». Mais, pour le malheur de mon sommeil, La sibylle n’est pas le genre de livre-apéricube qu’on picore indolemment avant de retourner à ses occupations. La sibylle s’enchaîne aux doigts jusqu’à la dernière page. (Résultat, j’ai passé toute la journée du lendemain au radar, mais c’est dans mes habitudes et ça valait le coup.)
Le livre s’ouvre sur l’histoire d’un homme désespéré. En Judée, un condamné à la crucifixion à demander à s’appuyer quelques instants contre le mur de sa maison, pour se reposer de son fardeau ; mais l’homme, craignant le contact avec un réprouvé bientôt cadavre, l’a chassé. Le condamné l’a maudit. Depuis, sa vie se délite, son bonheur fuit de jour en jour ; d’étranges rumeurs courent en Judée, le crucifié serait le fils de Dieu…
L’homme se rend à Delphes, pour connaître son destin. Mais celui-ci est si terrible, si inhumain, si innommable, que les prêtres de la pythie le chassent du temple. L’homme va alors trouver une vieille femme qui vit recluse sur les hauteurs de Delphes, une ancienne pythie, exclue de la cité pour un crime affreux. Cette femme lui raconte son histoire…
Ce livre m’a éblouie. Chaque page est baignée de lumière ; la lumière drue des pierres blanches de la Grèce antique, les reflets de l’Adriatique ; la pureté de vies simples, cousues de rites et de croyances ; la lumière divine enfin, celle qui éclaire la sibylle qui dans ses transes touche le Dieu. La langue de ce livre est fluide et nette comme la taille des pierres qui forment les colonnes d’un portique, et à travers cette radieuse simplicité, elle évoque avec ferveur la question de la foi, du rapport au divin, de la faute et de la culpabilité. Le monde antique est saisi dans son effondrement imminent : déjà surgissent les premiers chrétiens, et, comme toujours, c’est au moment où elle se brise qu’une civilisation apparaît dans toute sa clarté. Alors que l’histoire prend un tournant irrévocable, que la relation au divin va changer à jamais, elle est capturée avec une rare beauté.
Mais La sibylle n’est pas seulement une histoire de Dieux, c’est avant tout l’histoire d’une femme, de son long chemin de vie escarpé et entrecoupé d’énigmes, une superbe et tragique histoire d’amour aussi. Bref, c’est un livre lumineux, une rare merveille qui éveille autant la jouissance que la pensée… je ne peux que vous conseiller de vous jeter dessus !
Image : L'île de Delos, par Carl Rottmann, un peintre allemand du XIXe, néo-classique, spécialisé dans les paysages grecs inondés de lumière...
Sinon, que vous dire… Je travaille pour le concours en rêvant du moment où je serai enfin libre d’écrire, et en craignant ce moment où je serai livrée à moi-même, sortie des voies ardues mais si bien balisées de la prépa, où le travail a le bon goût d’empêcher de réfléchir, livrée à moi-même et à la nécessité de construire ma vie. Je ne sais toujours pas ce que je veux faire : pour une Amélie Nothomb, combien d’écrivains obscurs et oubliés, pour une Muriel Barbéry, combien de petites fourmis délaissées ; « écrivain », ça fait rarement bien auprès du banquier. Et puis, je ne suis pas sûre d’avoir la force mentale pour supporter l’éternel face à face entre moi et la feuille blanche, sans rien pour s’immiscer dans cet oppressant huis clos, sans rythme de vie pour canaliser mes imprévisibles jets créatifs. Mais travailler tous les jours de 9 à 18h ne me laisserait jamais pondre une seule ligne, et je rancirais dans la frustration comme un vieux vinaigre ; être prof me paraissait être un bon compromis, mais là, je vois un journal traîner sur la table, « 60 agressions de prof par jour en moyenne », hmm. Et puis, traduire des chansons de Tokyo Hotel auprès d’élèves infoutus de se souvenir qu’on dit « es geht mir gut » et pas « ich gehe gut », à moins de vouloir renseigner son interlocuteur sur ses facultés de locomotion, ça risquerait de me cultiver une colonie de cafards à l’âme. Bref, je me triture les méninges – déjà mobilisées 24h/24 par mon futur roman. Voilà pour ma vie fascinante.
A propos du salon du livre :
Je serai à la soirée d’ouverture, le jeudi 13 mars, et je dédicacerai Dernière morsure le mardi 18 mars, de 18h à 19h. (Je radote pour ceux qui n’auraient pas suivi.)
J’espère que vous allez bien, et que vous avez déniché des pépites parmi les sorties littéraires. Quelqu’un a-t-il lu le dernier roman de Didier van Cauwelaert, La nuit dernière au XVe siècle ? Il est sur ma liste de lecture… Van Cauwelaert est un auteur qui ne m’a encore jamais déçue, j’espère que ça continuera !
A très vite,
Ariane