Réponse à la question de Nicolas.

Publié le par Ariane Fornia

Avec l’exquise politesse à laquelle il nous a accoutumés, Nicolas m’a posé la question suivante :

 

Chère Ariane,
Cela va certainement vous décontenancer le temps de lire ce message mais quel est votre avis, romancière mais d'abord et surtout lectrice, sur la poésie ? Aimez-vous les poètes ? Pensez-vous vraiment que la poésie (je ne dis pas le lyrisme!!!) soit "passé de mode" ?
Bien à vous

 

Si j’aime la poésie ? Comment dire « Non » ? J’ai un respect qui confine à la vénération pour cette discipline mutante, à mi-chemin entre la littérature, la musique et la religion – ou plutôt, la démiurgie. Car pour moi, la poésie est un chant, un chant sacré, qui ne se contente pas d’honorer l’existence des êtres, mais qui la recrée et l’accomplit. Un poème, c’est une nouvelle genèse, c’est

 

Parler seul
Avec Dieu,

 

comme l’a écrit Hölderlin. Vous l’avez compris : pour moi, la poésie, c’est le lyrisme, c’est Orphée qui bouleverse l’ordre du monde pour que sa voix ramène Eurydice, qui envoûte arbres et animaux, c’est un souffle, un rythme, une mélodie, un fracas torrentiel et un murmure d’extase. Je ne conçois pas de poésie sans le martèlement des rimes et le plaisir organique des sons ; un poème est une expérience sensorielle, une avalanche, une rupture des digues du corps et du monde.

Ainsi, les créations récentes, comme la prose de Ponge et les satires de Gernhardt sont pour moi de délicieux accidents, des drosophiles à dix-huit pattes surgies dans un laboratoire peu orthodoxe : j’adore ces hybrides, mais je vois bien qu’ils n’appartiennent pas à leur espèce, et qu’ils sont stériles, comme tous les croisements contre-nature : l’avenir de la poésie ne sera pas fécondé par eux.

 

J’ai survolé l’Année poétique, excellente anthologie des poèmes parus l’an dernier, qui offre un tour d’horizon panoramique de la poésie en 2007, et j’avoue avoir été déçue. Peut-être n’ai-je pas pris assez de temps, peut-être ai-je ignoré une pépite, mais je suis restée froide. Et pour moi, la poésie hante et revient comme un amant… comme une chanson. On ne se dépêtra pas du lyrisme.

 

Et, hélas, il est passé de mode. On a rien trouvé de mieux, face aux charniers nazis, que d’inculper l’idéalisme et les vers qui le rythmaient. Adorno a dit « après Auschwitz, on ne peut plus écrire de poésie », et on l’a cru. Je sais, faire remonter à l’holocauste les plaies de notre XXIe siècle est un poncif, mais cette rupture est avérée. Parce qu’Hitler avait cherché à assaisonner à la croix gammée les romantiques, et parce que les chambres à gaz ont fauché net tous les utopistes, on a relégué à la cave le lyrisme. Aujourd’hui, une maison d’édition qui verrait atterrir sur sa pile les œuvres de Lamartine ou de Musset se péterait quelques côtes de rire. On traque l’emphase, la naïveté, les effets majestueux. Alors oui, la poésie est passée de mode – les chiffres de vente le prouvent bien mieux que ce long laïus. Parce que la poésie, c’est l’outrance. Festin de sons, de rêves et de rythmes sans jamais atteindre la satiété.

 

Pour moi, les ballades allemandes, de Goethe, Brentano ou Annette Droste-Hülshoff, ou les fantaisies nocturnes de Novalis ou d’Eichendorff, sont la perfection poétique. Un élément épique, un élément dramatique, un élément lyrique : c’est la définition canonique de la ballade, et bien avant de l’apprendre par cœur en hypokhâgne, j’avais ressenti que cet héroïsme sonore des romantiques allemands atteignait un sommet d’art et de beauté. Mais, par égard envers mes lecteurs, j’ai essayé de chercher des poèmes français qui diront bien mieux que moi ce qu’un poème doit, à mes yeux, amener à ressentir.

 

La Loreley, d’Apollinaire, traduction libre et moderne de la ballade de Brentano.
Ophélie, de Rimbaud – curieux que je choisisse un poème de l’auteur des Illuminations pour exprimer la perfection romantique…
Conte d’amour, de Villiers de l’Isle Adam – un texte superbe.
Nuit rhénane, d’Apollinaire. A-t-on jamais rien écrit de plus beau sur le Rhin ?
Veni vidi vixi, de Victor Hugo, ou comment la poésie personnelle devient une cathédrale.

 

 Je ne peux m’empêcher de citer d’autres textes, en langue étrangère, pour les curieux…

The Lady of Shalott, de Tennyson

La belle dame sans merci, de Keats
The rime of the ancient mariner, de Coleridge
Hymnen an die Nacht, de Novalis
Der Erlkönig, de Goethe
Mondnacht, d’Eichendorff
Der Knabe am Moor, de Droste-Hülshoff
Die Sphinx, de Heine

 

J’attends toujours le messie qui ressuscitera la poésie, saura lui insuffler une nouvelle vie sans s’attirer les quolibets de l’époque. Cela ne sera pas moi – à dix-huit ans, je suis déjà trop vieille pour être capable d’une telle ferveur. On cueille les génies du vers au berceau !

 

J’espère avoir répondu à votre question, Nicolas ? Je me permets de vous la renvoyer : et vous, que pensez-vous de la poésie ?
(Bien entendu, la question s’adresse à tous. Je suis pas en train d’organiser un tête à tête ;-)).

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Sinon, je voulais vous prévenir que j’entre dès demain dans le mois de novembre. C'est-à-dire, pour tout élève de prépa : le mois du teint blême et des mines de déterré, des jours sans fin et des peines sans fond, de la dissolution dans un violacé d’insomnie et de l’exaspération illimitée, injustifiée, incontrôlable. Mais comme disait mon prof d’histoire, « le mois de novembre a une fin ». Donc, vous me récupérerez vivante un de ces jours. D’ici là, je vous en prie, soyez patients si mes délais de réaction se voient encore allongés… (Et essayez de pas trop m’énerver, on sait jamais. Je plaisante ;-)).
A bientôt, bonne soirée, et merci à tous ceux qui viennent et reviennent... Encore une fois : n'hésitez pas à poser des questions, faire des suggestions, laisser l'adresse de votre blog. Aiglures doit vivre, et vous êtes les aiglons ;-)

EDIT - PROSAIQUE MAIS IMPORTANT :
pour une raison restée obscure à ce jour, Hotmail me prend pour une terroriste et refuse tous mes mails, au motif que mon adresse IP serait toxique, néfaste ou cancérigène. J'ai donc été forcée de laisser tous vos mails venant de comptes Hotmail en suspens, et ce depuis deux semaines. Donc, s'il vous plaît, chers amis concernés par ce nouveau délire de mon cauchemar informatique, ne croyez pas que je vous snobe et envoyez moi un nouveau mail avec une autre adresse ! Sus à Hotmail ! Et bonne semaine ;-)

 
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C
Hmm... Quitte à souiller un sanctuaire de l'Education nationale, je préfèrerai m'attaquer à Sciences-po, déguisé en Diogène et frottant ma crasse aux cuisses des futures directrices de conscience du Monde diplomatique...Concernant Requiem, je suis assez d'accord, et ce que cette BD a de génial, c'est justement son côté rétro-bricolo, pas du tout à l'avant-garde (un peu comme les nanars joussifs de Rob Zombie). Mais ça ne relève pas vraiment de l'art, on la lit pour se remuer les yeux, comme on écoute du White Zombie pour se décrasser les oreilles.(Sinon c'est qui meetic? C'est comme copaindavant mais en pire, c'est ça ?)
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M
La poésie est vraie
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A
Sans doute...
N
Je ne me reconvertis pas dans la voyance, Ariane, allons ! Mais poésie et voyance ne sont pas antithétiques, vous savez ce qu'en pense RIMBAUD !! Nous nous verrons, oui, si le coeur vous en dit, c'est tout... vous comprendrez.
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A
Je suis curieuse...
M
tiens, je viens de lire le message de Charogne, c'est très chouette comme idée, Barbare Powaaaaa!!!Pour ma part, le défi me tente mais j'aime bien l'esthétique de mort un poil surfaite (il y a d'autres choses qui sont surfaites et pas si mal non plus ^^) par ex ds la BD Requiem, LA classe. Mais il faut en sortir, c'est sûr, et une nouvelle horreur reste à inventer (j'y travaille).Et si tu veux te fiche en l'air, je ne l'ai pas répertoriée celle-là, mais un Columbine bis au 123 rue Saint Jacques serait assez excitant, tu ne trouves-pas?
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A
Nan, je trouve pas. Mais je suis sûre que, si t'en parles à Charogne, il sera emballé.
N
nous nous verrons pour en discuter début 2008. Bien à vousNICOLAS
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A
Ah bon ? Vous vous reconvertissez dans la voyance, Nicolas ? ;)